Mémoire tuméfiée - Colette Klein
Éditinter
éditions
Poèmes
– 2013 – 15 euros
Le
titre s’accroche à l’agonie, angoisse des impossibles retours.
Oubli
rendu inopérant… oubli, pardon.
Quel
oubli ? Quel pardon ?
Colette
Klein, dans ses écrits, redit à satiété la dévastation. Cette mémoire au visage
marqué des corps inguérissables. A quoi bon courir, on ne peut pas partir.
Ni
cœur, ni arbre simplement les oiseaux qui s’égosillent dans les frondaisons.
D’ailleurs sur quel terreau les forêts poussent-elles ? « Les camps demeurent ouverts » « Il ne sert à rien de….»
Méchante
ritournelle qui nous hante. Le texte d’une évidente beauté. « Des charniers remontent sans répit »
ne
sert à rien de briser les miroirs (Akhmatova).
La
poésie est entrée dans le miroir Colette Klein nous prévient : il est déjà
trop tard. Néanmoins, elle ne cesse de « réapprendre le vide » et d’habiter ce mot considérant tout de
même la progression des arbres et le cri des oiseaux dans le ciel.
« Oublier que l’on vit permet, peut-être, de
vivre ». On est aux antipodes de l’hédonisme zen du « respirer », « du cool ».
Mémoire
tuméfiée n’est pas un ouvrage « gemütlich ».
« Ni la nuit ni le feu
n’écrivent les poèmes ».
Colette
Klein est dans la nuit et dans le feu, à ce titre il convient de saluer sa
ferveur.
Le
poème est consubstantiel en ce qu’il « fortifie le silence », la nuit se charge de « brûler le manuscrit » de l’oubli.
Ainsi dans un va-et-vient permanent entre l’impossible et la mort, la mémoire
tuméfiée souffre, mais vit encore avec une hargne désespérée « pour boire d’un coup tout ce noir qui
assiège le monde ».
La
poésie, disent certains, commence par la haine de la poésie « Il ne sert à rien d’écrire. » Rien
à perdre, c’est un pari. Nous sommes mutilés, tuméfiés.
Y
-a t-il même encore matière à pardonner devant l’état du monde ?
Dieu
pourrait pardonner, mais le veut-il ? Le peut-il ? Lévinas l’a dit,
enseigné même.
Tout
disparaîtra. Jusqu’à cette belle poésie qui semble paradoxale, nouée et vivante
tout à la fois dans son amertume terrible.
« Tout disparaîtra,
y compris la fougère et le
chêne »
qui
ne sont pas des vanités bien au contraire, l’ecclésiaste enraciné. Rien n’est
vanité, mais tout partira « Des
brouillons de nuit tombent au fond des verres ». C’est une poésie de l’effacement,
de la disparition. Colette Klein est le gardien des fantômes.
Je
ne résiste pas à citer la belle page 48 :
« Dans la forêt, je mène mes fantômes voir à
la lumière diffuse des fougères.
Je les enferme dans le premier arbre
venu, éclaté sous les nuages.
Puis, j’incendie le chemin
afin
que personne, jamais, ne sache que mon silence
camoufle
des mots et des mots,
entassés
comme des fagots inutiles.
Des mots parasites et qui troublent
l’ordonnance des pierres ».
Il
y a une résistance de l’écriture de Colette Klein, ne fond pas, ne se consume
pas, se meurt frappée au visage et cette mort, en acte, est poésie « nourrie de cadavre, la mer ne vieillit
pas » sorte de désillusion du monde déjà asséché. Comment écrire,
créer, après la Shoah, après Staline, le Rwanda, le Cambodge, la Syrie…
Cela
ne sert à rien et pourtant.
« Le plus exigu des livres ouvre sur la mer » La
mer, la mère, le livre de Colette Klein funambule ouvre sur la mer.
L’énigme
des oiseaux suspendus au-dessus qui meurent presque aussi vite que des
papillons que l’on oublie et que l’on ne pleure jamais.
Trop
tard.
Tu
relies ton chant saccadé, scandé d’impossible à ces oiseaux passant au-dessus
des cimes des arbres et des effroyables fumées. Tu désespères d’attendre en
étant l’invivante alors même que les
années défilent en certitude d’avoir encore à vivre, ayant déjà malgré tout
vécu « Il est déjà bien tard »,
pourtant l’étouffement ne vient que très progressivement avec une lenteur
torturante. Il y a cette harassante remontée, des charniers que l’on ne peut,
ni n’ose remettre, oublier « cela ne
s’efface pas ».
En
lisant ces beaux poèmes éprouvants et vivants, réalisé qu’il était encore plus
difficile de mourir « avec » une raison que « sans » raison
(y-a-t-il même une raison quand il y en a une ?) Cette ignoble et
impensable haine raciale qui a constitué la Shoah subsiste en ceux qui sont
venus après et qui ont continué ou leurs enfants, survivants à la mémoire
tuméfiée. Héritant de cela, n’ayant alors qu’un seul devoir de mémoire : « s’effacer dans le rien, disparaître,
inhabiter la vie ». Ceux-là (Primo Levi) voudraient s’en détacher et
tenter de vivre mais toujours façonnés, détruits, assassinés, brûlés, tués,
gazés pour rien, mais non pas sans raison. Ne le peuvent.
Les
arbres et les oiseaux demeurent et grandissent. Nuit achevée, silence qui ronge
et dissout les anciennes peurs. Il faut résister à cela, pas de pardon à titre
provisoire.
Paul de Brancion