Oh ! les filles ! de Sophie Michel (scénario),
Emmanuel Lepage (dessin) (intégrale des 2 volumes, Futuropolis, 2013)
Ici, un
strip en bas d'une page (figure 1), une halte dans cette histoire de trois
enfants, adolescentes, adultes…, merveilleusement (comme à son accoutumée)
dessinée par Emmanuel Lepage, l'auteur de La
terre sans mal (scénario de Anne Sibran) ou de Muchacho (dessin et scénario) dans la collection Aire libre, chez Dupuis.
J'ai d'abord
"lu" ce strip (figure 2) avant l'ouvrage-même, et admiré ce strip seul
encore; il est moment qu'on peut (comme
je propose de faire dans d'autres
"brèves de bd") isoler : lui-même et son propre récit : et de l'écriture et de la lecture de bande
dessinée.
Toute lecture
(non seulement "vue") de l'image de bd se fait (comme ailleurs, dans
la lecture courante) de gauche à droite;
ici, dans la succession brève,
immobile de trois cases, est représentée cette autre lecture, toujours de
gauche à droite, des deux héros :
à l'ambiance
de calme, de ce bleu qui est tout le décor de la scène, et de l'attitude d'immobilité de ces personnages en lecteurs,
s'ajoute la lenteur même (en trois phases pareilles, glissées de l'une à
l'autre) de la progression de leur lecture;
dans cette immobile mise en abyme de la nôtre, de ce côté-ci du miroir
(de l'écriture); dans la discrétion
(l'invisible langage) de la représentation;
enfin dans cette lecture qu'ils font eux-mêmes et de gauche à
droite :
c'est
alors à contre-courant de notre lecture de gauche à droite, et l'immobilisant,
la calmant encore : (re)dessinés de case
en case plus et plus à notre droite ils tournent la tête de notre droite à
notre gauche (leur droite, et naturellement);
sensiblement, donc, notre lecture est par la leur arrêtée, le temps de
trois dernières cases d'avant la planche suivante.
Ici, c'est lire
purement une phrase de bd, un récit entre ces "virgules" des cadres
des cases, quand même sans paroles, dans le
scénario invisible, la disposition en regard des personnages et lecteurs.
Les cases bd
sont par essence successives, et immobiles dans leur succession; la beauté immédiate de cette
"parole", et comme invisible, est installée dans l'ellipse de toute
parole -
sauf écrite, invisiblement, scénarisée, mise en lecture d'image (l'image
parle en images l'image).
J'acques Estager