16 mai 2011

Sur Un balcon en forêt de Julien Gracq, José Corti, 17 euros

Il y a les proses de Julien Gracq, pleines de lieux, de moments, qui sont les phrases, comme des soirs, où vivent des éclairs, où tout se prolonge, les paysages précis et secrets : qui sont les phrases et dans les phrases ; dans ces lieux viennent incessamment, savoureusement, étonnamment ses images, « ainsi des portes claquées à toute volée réveillèrent les échos de la clairière dans un fracas d’attaque de diligence. » (Un balcon en forêt, p. 62). Sont des îlots de grâce :

(…) comme il arrivait à sa hauteur, Grange aperçut sous le capuchon qui se levait vers lui deux yeux d’un bleu cru, acide et tiède comme le dégel - au fond du capuchon, comme au font d’une crèche, on voyait une paille douce de cheveux blonds.

- C’est m-mouillé, votre forêt, ooh là là ! fit une voix fraîche et brusquette, pendant

que le capuchon s’ébrouait avec le sans-gêne d’un jeune chien et aspergeait Grange - puis soudain le menton se leva avec une gentillesse tendre et tendit le visage nu à la pluie comme à une bouche, pendant que les yeux riaient.

- C’est mieux qu’on revienne ensemble, reprit-elle d’une voix qui ne le consultait mie.

C’est plus gai !

Et elle se mit à rire de nouveau, de son rire de pluie fraîche. Maintenant qu’il l’avait rejointe, elle marchait à côté de lui d’un bon pas. Grange la regardait quelquefois à la dérobée ; derrière le bord du capuchon il ne voyait que le nez et la bouche, tout vernissés d’eau, que le court menton buté tendait à la pluie, mais il était remué de la sentir auprès de lui, jeune et saine, souple comme un faon, dans la bonne odeur de laine mouillée. (Un balcon en forêt, p. 55-56.)

J’ E

8 mai 2011

Sur Ostinato de Louis-René des Forêts, Mercure de France, 1997, 14, 80 euros, Gallimard, collection L’imaginaire, 8,50 euros

La phrase d’Ostinato, disant les premiers mots, disant les mots, ne finit jamais ; le début d’Ostinato ne s’arrête pas à la suite d’Ostinato, et se suffit et suffit à la suite du livre ; les phrases d’Ostinato sont longues à s’enfoncer dans des transparences ou nuits, disparaître et, obstinément, aveuglément, ne pas finir ; les deux derniers livres de Louis-René des Forêts (Ostinato et Pas à pas jusqu’au dernier) sont transparents avant les autres et après les autres ; c’est l’obscurité, la lumière, la transparence, au commencement de la lumière :

Le gris argent du matin, l’architecture des arbres perdus dans l’essaim de leurs feuilles.

Le parcours du soleil, son apogée, son déclin triomphal.

La colère des tempêtes, la pluie chaude qui saute de pierre en pierres et parfume les prairies.

Le rire des enfants déboulant sur la meule ou jouant le soir autour d’une bougie à garder leur paume ouverte le plus longtemps sur la flamme.

Les craquements nocturnes de la peur.

Le goût des mûres cueillies au fourré où l’on se cache et qui fondent en eaux noires aux deux coins de la bouche.

La rude voix de l’océan étouffé par la hauteur des murailles.

Les caresses pénétrantes qui flattent l’enfance sans entamer sa candeur.

Dès la seconde phrase, ou encore la première, tout commence et est si vite et si peu vite achevé. Dans l’émission d’Un siècle d’écrivains qui lui est consacrée, des Forêts lit tout ce début d’Ostinato, (notre citation, jusqu’à celle ci-dessous) sur des feuilles dactylographiés, il va, il marche, il prononce, et non seulement il dit, il chante de sa voix, ses accents.

Ce ne sont ici que figures de hasard, manières de traces, fuyantes lignes de vie, faux reflets et signes douteux que la langue en quête d’un foyer a inscrits comme par fraude et du dehors sans en faire la preuve ni en creuser le fond, taillant dans le corps obscurci de la mémoire la part la plus élémentaire - couleurs, odeurs, rumeurs -, tout ce qui respire à ciel ouvert dans la vérité d’une fable et redoute les profondeurs.

Voici la profondeur des longues phrases, le ciel couvert et découvert.

J’ E