21 février 2011

INZESTE de Mathias LAIR Gros Texte 8 €


Là, le titre est juste en plein dans le mille. C'est une ode amoureuse, effarée d'intelligence perdue. La phrase déchirée, le verbe désossé, partagée toute la longueur se lit comme un texte continu ou partiel, selon le bon vouloir du lecteur. Paradoxe, la brisure de la phrase rend la litanie incohérente, alors que la performance manifeste qui surgit à la lecture en continu déroute, dérive et devient alors accumulative. On est brisé dans notre lecture suspendue, à tout le moins essoufflé, accablé, comme le fils accablé par l'amour de sa mère :

"La destinée est ainsi faite d'être sous la loi de Maman".

On est dans la virtuosité absolue de Mathias Lair. L'auteur, soumis au ravage brillantissime du savoir de la psychanalyse, de la sémiologie, de l'objet « petit a », du signifiant etc.

Ça dépote un max !

"Pas né mais

néné pas deux fois

mais

nez à nez dans le même

air respiré…" (page 31).

Le reste est du même bois, mais la lettre tue :

«Entre la matrice et le monde comme

un hiatus dedans je suis »

(bien vu !).

«dans quelle folie

« maternelle entre la vie

et le monde où je flâne

je n'en suis pas encore

à cinquante ans

faire constat de non-vie

tout ce temps dans le rien

criant ne pas être et faire

pourtant comme toute bête

ne pas être sujet(…)

Cette blessure que

leur épargner j'aurais voulu

de génération en génération

la blessure reportée

cette infection." (p. 35).

Voilà, c'est dit. Il s'agit de juguler cette infection qui tue.

On est sous la loi de Maman jusqu'au chapitre intitulé "Voix » qui est à mon sens sublime. Le hiatus est justement situé entre la voix matricielle de la mère et son corps ( le corps d’elle) en lui :

/il faut le sens pour démonter

le traficotage d'inceste je sais

le deviner sous les religieux délices /. (p.41)

« pas de point

de fuite pour ordonner ce monde

pas d'autre horizon que cette gorge profonde" (page 42).

On a la voix d'elle ou par excès ou par défaut, nous les hommes :

"La voix qui vient est d'une

idole ma voix qui monte

s'adresse à quelle morte la voix

toujours de ce qui n'est pas là

en même temps ma substance

disparue elle est

ce qui n'est pas et

dans cet écart

pleurer comme on jouit

l'amour est cette voix".(p.44)

Se souvient-on, petit, à certaines époques où la voix mue de ce changement étrange où de soprano on devient baryton . On baisse comme des montagnes russes et parfois, si la nature nous a donné une mère à voix chantante et haute, ne voilà-t-il pas que nous nous prenons à monter vers l'aigu – une fois l'adolescence passée – au téléphone, cela donne :

- Bonjour madame

- J'suis pas une dame ! Je suis un monsieur ! (baissant le ton de la voix exagérément vers le bas)

- (l’interlocuteur ou plus vexant l’interlocutrice) Oh, pardon, bonjour monsieur !

Ils nous auront pris pour elle, pour Maman :

"L'amour est cette voix"

"ou bien dans la voix demeurer

travaillé par l'absence" (page 45).

Voilà, de la voix à la langue, il n'y a qu'un pas, un bord (de mère naturellement). Mathias Lair cherche à "forger une langue étrange inaccessible". Il y arrive magistralement. Cela peut-être un peu perturbant pour le lecteur non gymnaste, mais c'est absolument salutaire pour l'esprit de se plier à cette duplicité virtuose qui est sienne.

Continuons. Le dernier chapitre s'intitule "Bord de mère" (je vous l'avais dit, bord d'elle, donc), l'affaire continue, elle est interminable, ça dure. Cela ne terminera donc jamais, cela monte en beauté :

"Etre c'est me défaire

de Maman le monde

entier est gagné

(gâché) par elle (…)

Au moins si

je pouvais la rafistoler pour

qu'elle parte ailleurs

sur son chemin sans

moi (…)

Recracher

le lait

qui m'a fait

pour naître

(n'être). » ( p. 58 )

Voilà, c'est fini, toute cette permanente transportation de l'Œdipe douloureux ressassé, aveuglé, perçu, perclus et courageusement chahuté, affronté par les mots, il reste.

« Et quand m’aime

ne puis le nier quand

elle part avec

dans son panier le monde

entier après m'avoir

tué d'un sourire

d'amour s'évanouissait

me laissant suspendu

de l'amour à la haine

ne me laissant m’aime

pas une bonne pure

haine mais des

chausse-trapes seule

ment". (p.61)

Magnifique épitaphe, on n'est pas loin du rythme du grand François Villon. Nous sommes tous des pendus provisoires, n'est-ce pas ?

Voilà Inzeste tel que je l'ai lu. Il reste l'amour, le sentiment qui ne laisse pas indifférent ni même un différent.

Paul de BRANCION