23 novembre 2010

Sur les routes avec le peuple de France 12 juin-29 juin 1940, Marguerite Bloch Editions Claire Paulhan, 2010

Sur les routes avec le peuple de France, ce texte magnifique de Marguerite Bloch ( femme de Jean-Richard Bloch) raconte avec une extrême simplicité et une grande justesse de ton l’Exode mémorable de juin 40.

« Marguerite Bloch, Herzog de son nom de jeune fille, est la sœur d’André Maurois. Lorsque Jean-Richard Bloch la rencontre elle a dix neuf ans, ils se marient en 1907. A la veille de la seconde guerre mondiale les Bloch constituent une famille très unie ; juifs d’origine, ils ont pourtant depuis longtemps choisi la laïcité et le rationalisme. A la fin des années trente J.R Bloch ré-adhère au Parti Communiste.

L’éclatement du printemps 1940 va les lancer sur le routes de France dans différentes directions. Elle s ont pourtant le même but : échapper à la persécution des Nazis qui menace leurs vies puisqu’ils sont juifs et communistes. »( extraits de la Préface de Danielle Milhaud-Cappe)

D’armée il n’y en a plus, Paris est déclarée ville ouverte et c’est la débandade totale, la trahison . Chaque jour est une incertitude mangera t-on , trouvera-t-on un lit, du café pour repartir à l’aube comme ces milliers d’autres errants abandonnés par leur gouvernement.

« On n’a pas été battus, on pouvait très bien tenir, on a été trahis, si on s’est repliés, c’est par ordre, notre défaite a été voulue… » C’était le refrain de l’armée en déroute, « les officiers nous ont lâchés » et la population civile faisait écho…

« Eux les Allemands, ils ne sont pas comme nous, ils ont de l’ordre, de l’organisation ; tout ça c’est venu de l’indiscipline, du désordre ; pensez Madame, que les enfants ne voulaient seulement plus obéir à leurs parents ! »

Nos parents , nos grands parents, nous ont parfois évoqués, à l’occasion, ces moments de l’exode avec une certaine honte, ils restaient évasifs avares de détails sur cette grande promenade , cette école buissonnière dont ils n’étaient pas fiers. Et là nous est dite enfin la vérité avec franchise. La grande sœur qui a vécu cela, nous transmet son expérience de l’ incroyable délitement du tissus social, de cette grande fuite abandonnée dans l’inconnu trop connu et la peur d’être rattrapée pas les Allemands qui avancent inexorablement.

Comment se nourrir ? où trouver un lit ? dans ce flot ininterrompu de fuyards réfugiés avec l’armée, les camions, les canons, les chars qui ne s’arrêtent pas, qui accélèrent même quand on leur fait signe.

Il y a bien des trains mais ils roulent quelques kilomètres puis s’arrêtent en rase campagne on attend on attend soudain le bruit des avions et l’on court se cacher dans les fourrés.

Mitraillages, bombes, on revient ; il y a des morts. Non, mieux vaut marcher à pied par les petits chemins souffrir des ampoules certes, mais vivre ! Armée en retraite, soldats à pied aussi, las et chargés, matériel roulant de toute natures. Les paysans, les boutiquiers, les petits propriétaires berrichons regardaient :

« Qu’est-ce c’est que ça ? ».

Les Français regardaient fuir leur armée. « Ils passaient la nuit debout tant ce fleuve lâché les épouvantait. Etait-ce toute la force du pays qui s’en allait ? Un brusque sentiment de solidarité leur rendait sensible les liens vitaux qui allaient d’eux à l’armée. Oui, c’était bien la vie et la force du pays qui étaient disloquées – et il n’y avait plus de barrière entre eux tous et l’envahisseur. »

Dix sept jours de marche de Paris jusqu’à Poitiers en compagnie de sa fille Marianne enceinte de trois mois et de quelques autres

« Orléans était encore loin. Nous avions hâte pourtant d’y arriver. quand je dis nous, je veux dire nous tous, ces milliers et milliers de gens qui, comme nous espéraient y trouver une poste, des trains, du ravitaillement, et, sans doute – idée moins claire peut-être mais dominante – l’armée rassemblée sur la Loire et formant enfin rempart entre cet ennemi accourant de toute la vitesse de ses forces motorisées et le peuple de France, chassé de ses foyers. »

Marguerite Bloch finit par arriver à Poitiers. Elle retrouve sa famille à la Mérigote, leur maison .

Il faut absolument lire ce texte car il renoue avec un sentiment physique de la Nation, dans la douleur même de constater son effondrement invraisemblable. Ce récit était resté inédit. Il est admirable. Il faut remercier Claire Paulhan de nous le donner à lire, enfin.

Paul de Brancion