L’apocalypse selon Dürer
Alberto Manguel ;
Traduction de l’anglais par Christine Le Bœuf
Pour
qui, comme moi, se promène souvent dans la région d’Angers où se trouve la
splendide Tapisserie de l’Apocalypse, l’iconographie de cet épisode biblique est
familière : dragon à sept têtes, sept anges, sept chandeliers, sept
lettres, sept sceaux, sept visions, sept trompettes, sept nouvelles visions.
Pas besoin d’être historien de l’art pour constater que le chiffre sept, «magique» par excellence, se retrouve
tout au long du texte de Saint Jean de Patmos.
Alberto
Manguel se penche sur la série de gravures réalisées par Albrecht Dürer :
« L’Apocalypse représente la mort de
toutes choses, non comme la fin dernière mais comme l’ultime étape dans le
combat entre le bien et le mal. » Ce livre, érudit, constitué de 16 petits
textes éclaire l’œuvre la replaçant dans son contexte théologique et historique
mais son intérêt réside dans l’écho que ces gravures suscitent chez l’auteur. Parfois
une gravure entraine celui-ci dans une méditation sur le monde contemporain et
son Enfer dans lequel «les extrémistes religieux seront forcés d’errer
sans fin et seuls dans leurs propres cauchemars hideux ; les
financiers, vêtus de costumes trop serrés, souffriront faim et soif cependant
que des gaveurs d’oies leur enfonceront dans l’œsophage des pièces et des
billets ». D’autres gravures proposent une interrogation sur la mort
et le désir de jeunesse éternelle.
Alberto
Manguel, dans son étude de la gravure « Les vingt-quatre vieillards »
évoque le corps, son corps alors que l’âge vient :
« Durant mon adolescence et mes premières
années d’adulte, mon esprit semblait n’être qu’une présence brouillée et
incertaine se mêlant avec maladresse à la vie insouciante du corps souverain
qui prenait son plaisir partout où il le trouvait sans conséquence notable.
Paradoxalement, mon corps me paraissait alors moins consistant que mes pensées
et ne me faisait sentir sa présence qu’au travers de mes sens éclectiques, dans
l’air frais du matin ou une balade nocturne dans la ville, quand je déjeunais
au soleil ou étreignais dans l’obscurité le corps de mon amant. Même lire était
une activité physique : le toucher, l’odeur, l’aspect des mots sur la
page.
Désormais le plaisir vient surtout de la
pensée, et les rêves comme les idées semblent plus riches et plus clairs.
L’esprit veut prendre possession de ce qui lui revient mais le vieux corps, tel
un tyran destitué, refuse de se retirer et réclame une attention
constante : il mord, gratte, presse, hurle ou tombe en un état
d’engourdissement ou d’épuisement injustifié.»
Ce
texte, lu au bord de la plage, dans la torpeur de l’été, rappelle que
l’importance de l’art, de la poésie, vient de ce que, au-delà des siècles, ils
nous parlent de nous, frère humain et nous permet parfois de nous comprendre mieux
et d’appréhender avec plus d’acuité le monde qui nous entoure.
Avant
de plonger dans la mer voici que me revient cette citation évoquant Mallarmé :
« … ainsi que le savait Dürer, l’échec réside,
implicite, dans les plus grandes réussites, puisqu’il désigne l’état
d’incomplétude de toute grande œuvre d’art… Mallarmé parlait de « la Muse
de l’impuissance », qui inspire à chaque entreprise artistique un certain degré d’échec lui
permettant de survivre. »
L’Apocalypse selon Dürer, Alberto
Manguel, éditions Invenit, collecion Ekphrasis, 13 €
Catherine
Tourné
(sur les rives de la Méditerranée, juillet 2015)

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