Un
cadastre d'enfance
Roland Nadaus, Éditions Henry,
2012, 6 euros
Ça commence abruptement :
"Aujourd'hui :
Mon papa n'est pas mon
père"…/
…….
Présentement
Je me tais. Mais j'écris.
Ce livre noir de l'enfance
représente un effort pour faire face à une façon "merdique" de venir
au monde. Oublier par l'écriture de la douleur à la lisière du volcan du passé
et regarder dans les yeux, coûte que coûte, l'opacité incommensurable du fait
d'arriver à la vie à côté de la plaque et à la fois en plein dans le mille.
Poésie, s'il en est, qui dit quelque chose dans l'envers désolant
des bons usages conformes alors qu'on tombe
sur la terre entre la peine, l'oubli et la torture.
"À l'âge d'Alzheimer
je me souviens de tout Môman
et que tu m'as tant aimé
que c'est ta vie que tu m'as
donnée
Et du coup, je ne me souviens
plus
de
moi - "
Florilège :
"Foutu paquet
cadeau"
"C'étaient les sabots de
la Mort,
le raclement de ma naissance
le souvenir de cette noyade
ou de cette pendaison
dans le ventre de ma mère
Fœtus, j'avais tout entendu"
Tout ceci est lourd d'une
puissante humanité :
"j'ai plongé mon âme
buissonnière dans les excréments du réel et le fumier des apparences"
"J'ai boxé l'ignoble
présent
avec mes petits doigts de gangster
honnête"
"Je suis devenu vieux
très jeune"
"Je ne sais pas compter
jusqu'à
moi
– alors comment parler de mes
enfances".
Je ne résiste pas à citer la
recette de la soupe aux vers de terre :
La soupe aux vers de terre :
On prend des vers de terre, il
vaut mieux qu'ils soient gros, grands, gras : pour les couper en morceaux et
les écraser dans la dînette, c'est plus commode, mais on peut aussi faire une
soupe de bonne qualité avec des bébés vers de terre ou des vers de terre nains,
c'est seulement plus difficile à touiller.
On prend du sable ou à défaut
de la terre très fine : si elle n'est pas assez fine, on la passe au tamis de
la passoire à thé par exemple.
On prend de l'eau ou bien on
crache : à plusieurs c'est mieux parce que ça fait comme une fondue.
Après on touille, on écrase,
on remue dans un sens et puis dans l'autre, on fait chauffer sur des pierres
qu'on a disposées en foyer, on fait des gestes avec les mains pour montrer que
c'est très chaud, que ça brûle, on le crie !
À ce moment on goûte la soupe
aux vers de terre en se passant la dînette – ou la boîte de conserve si on n'a
pas de dînette : une petite cuillère est utile, mais on peut faire comme si
avec une brindille ou un caillou ou encore un trombone à papier.
Les plus gourmands font : hum,
j'en reprendrais bien, mais un peu, mais à la fin le sang coagule et mélangé au
sable blond, ça fait sale, alors on fait semblant de vomir, c'est le meilleur
moment.
Ce livre courageux, car il
met à nu, est tout à fait atypique. On y sent que Roland Nadaus nous dévoile
sans fard le fond de son affaire. On salue cette mise en boîte de l'enfance et
son émotion contenue. C'est un livre fraternel, un morceau d'humanité, constat
sans concession à la modernité.
P de B