4 juin 2011

Aperçus de la première personne dans Maîtres anciens ou Le naufragé, de Thomas Bernhard (Gallimard, Du monde entier)

« Thomas Bernhard, c'est moi », diraient Atzbacher ou le narrateur du Naufragé.

Le début de Maîtres anciens :

« N'ayant pris rendez-vous avec Reger qu'à onze heures et demie au Musée d'art ancien, je m'y trouvais déjà à dix heures et demie (...) »

Un moment, l'auteur est le narrateur ; d'ailleurs ni eux ni les personnages n'ont de personne physiquement décrite, chez Thomas Bernhard, mais sont des interlocuteurs ; dans sa brève apparition (mais tout le monde sait que les personnes écrites n'existent pas physiquement), l'auteur et narrateur disparaît :

« (...)à dix heures et demie afin, comme je me l'étais promis depuis un certain temps, de pouvoir l'observer une bonne fois sans être dérangé, autant que possible, sous un angle idéal, écrit Atzbacher. »

Envol de l'un des anges de Thomas Bernhard ; disparition de la scène du personnage du narrateur Bernhard, ce qui veut dire aussi qu'il sera tout et tous, toutes paroles, toutes personnes.

La première personne du narrateur en second suit le même chemin : on ne sait dès l'abord plus, non qu'il parle, mais qu'il écrit ; Atzbacher et Bernhard se rejoignent, ils sont tout le théâtre du livre, et nous parlent, cependant qu'ils écrivent et sont écrits.

A tout bout de champ s'installe la parole on ne sait ou on ne voit de qui, et c'est comment pouvoir, miraculeusement dire (voire se répéter en variations, musicales) :

« Il a fallu que mes parents fussent morts pour que je sorte de ce trou noir de l'enfance, a-t-il dit [a écrit Atzbacher...], il a fallu qu'ils fussent définitivement morts, effectivement pour toujours, vous savez, pour que je sorte du trou de l'enfance. » (Maîtres anciens, p. 78)

Merveilleusement, indiciblement, ce « trou noir de l'enfance » devient un sous-entendu, « le trou de l'enfance », ce trou, l'enfance, etc. s'il fallait dire autrement que l'auteur.

Le début de Le naufragé :

« Glenn Gould aussi, notre ami et le plus important pianiste virtuose du siècle, n'a atteint que cinquante et un ans, pensai-je en entrant dans l'auberge.

Sauf qu'il ne s'est pas suicidé comme Wertheimer mais qu'il est mort de sa belle mort, comme on dit. »

Tout un ballet d'entrées et de sorties de scène de personnes ou personnages. Et quant aux lieux, ils sont déjà, ici, ce leitmotiv de « l'auberge », où le narrateur n'écrit pas mais pense et est ; tous interlocuteurs et personnes dites entrent et sortent légèrement, imperceptiblement, comme dans ces « moi » qui viennent se confondre, deux exemples : un,

« Comment a-t-elle pu me faire cela, m'a-t-il dit, pensai-je. Moi [soulignons] qui ai tout fait pour elle, moi qui me suis sacrifié pour elle, et elle me laisse tomber, me plante carrément là et part en Suisse rejoindre ce nouveau riche, cet affreux bonhomme, m'a dit Wertheimer, pensai-je dans l'auberge. »

Souvent : retour retardé du thème initial (« pensai-je »). Deux :

« Il n'y a que par le détour du malheur que nous pouvons être heureux,disait-il, pensai-je. Mes parents ne m'ont jamais montré que le malheur, dit-il, voilà la vérité, pensai-je (...) » (Le naufragé, p. 69-70)

Fusion des personnages. L'auteur n'est déjà et n'est plus que personnage, un ironique et scrutateur, d'ailleurs sa propre victime, il n'y a personne d'indemne, chez l'auteur, chez Thomas Bernhard.

J' E