22 juin 2010

ALBERT ANGELO, DE BS JOHNSON, AUX ÉDITIONS QUIDAM TRADUIT PAR FRANÇOISE MAREL

Déconcertant (de sincérité) dirait un Anglais (de duplicité), cette fiction autorisée par l'auteur lui-même est une plongée dans la vie d'un architecte, Albert Angelo, qui fait le professeur remplaçant dans des banlieues défavorisées de Londres pour gagner sa vie et oublier son amour pour Jenny qui l'a plaqué.

Il est grand, gros, blond, cultivé, intelligent, vif, sensible. Il ne s'en sort donc pas trop mal avec les garnements effroyables qu'il a sous sa férule. Il ne sait pas s'il doit entrer dans sa propre histoire pour oublier son malheur ou s'il convient de sauter ce compromis narratif pour pouvoir faire ressortir l'atroce vérité qui est la sienne. Alors il aligne les procédés littéraires comme on enfile des perles avec talent. C'est drôle et pathétique. Il va jusqu'au trou dans la page "fenêtre sur le futur… pour attirer l'attention sur les possibilités de sa théorie sur la mort et la poésie".

"Lorsque Jenny est partie, m'a trahi pour un infirme à qui elle s'imaginait être davantage nécessaire, ma mère a dit de ne pas m'en faire, qu'il allait peut-être mourir et qu'elle me reviendrait" (page 29).

"J'me réveille avec le gourdin, faut que je soulage ça… J'en suis pas encore au gingembre, je me rappelle qu'après m'être fait jeter par Jenny, ça a duré trois semaines, impossible de bander, ça fait très mal, ça touche au plus profond, au plus fondamental, c'est ce que provoque la trahison sexuelle, elle frappe le principe même de l'homme, l'intégrité elle-même de l'identité masculine. Ah ah ah…". "Je déteste ce genre de femmes, les adeptes du tri sélectif. Je lui donne la chance de bénéficier de la totalité de ma personne, ce n'est pas rien, et elle, elle fait sa mijaurée, OK pour la conversation, OK pour la compagnie, mais le cul, non merci… Je déteste la demi-mesure. Avec moi c'est tout ou rien. Et en général, c'est rien" . "Oh, je sais très bien qu'il vaut mieux ignorer si l'on veut posséder, mais je refuse ce subterfuge". Typique ! ce mec frustré dira la commentatrice attentive.

"Un après-midi, pendant les vacances d'été, on était allés jouer au tennis près de chez elle, les autres nous avaient laissés seuls et j'avais eu envie d'elle toute la journée, Jenny, alors je l'avais prise dans mes bras sans crier gare et l'avais emmenée dans sa chambre, je lui avais fait l'amour rapidement, sérieusement, presque violemment, et je me rappelle qu'elle était tout particulièrement fermée, étroite, ce jour-là, ensuite, elle avait dit, je veux que tu me fasses toujours l'amour comme ça, mon chéri, surtout, ne change rien. Ce qui n'était pas du tout ma technique habituelle, moi qui apprécie tant les formalités, les préliminaires, la tendresse, les innocences, pour elle en revanche, l'impromptu était source de plaisir. Inoubliable ?"

L'architecte souffre, on l'a vu, de stress sexué, ab norme et douloureux. Il souffre de l'inadéquation de sa sensible intelligence avec son corps, excroissance pressée, bousculée par lui-même. Il est tout d'abord son propre oppresseur. Mais le monde le lui rend bien. "Je ramasse de manière totalement compulsive les trombones. La question à poser est plutôt la suivante : dois-je me sentir obligé d'offrir couvert et gîte à n'importe quel bout de ferraille abandonné par hasard (si ç'en est un) dans la rue ?" Grave question. Voilà ce qui arrive quand le poète est obligé de se déguiser en architecte pour trouver un métier de professeur remplaçant dans des zones défavorisées où les élèves sont des caïds effroyables et violents.

"Les poètes sont les seuls encore à éprouver un quelconque intérêt pour la poésie, aucun poète n'a jamais vécu de sa poésie".

"Dans la vie, du mieux possible, il faut que je l'écrive, il faut que j'aiguise la vérité, pas le choix, même si c'est aussi un supplice que d'écrire pour passer le temps dont j'ai trop, le temps dont j'ai plus qu'assez, car pour moi la fin ne viendra jamais assez vite, tant que ce n'est pas moi qui la provoque, mais en attendant il faut que j'écrive pour passer le temps…" .

Il faut noter que BS Johnson s'est donné la mort à l'âge de quarante ans. C'est donc là un roman auto fictif avec de très beaux passages d'une grande simplicité et de belles sophistications tout à fois.

À la fin de l'année, Albert Angelo propose à ses élèves d'écrire ce qu'ils pensent de lui en toute liberté et sans répression. Voilà ce que cela donne : "Ce que je pense de Monsieur Albère (dit Bébert la Morve), faux jeton de Juif , espèce d'enc. de ta Race, espèce de cul cul-le-youpin. Sale chien. En gros, vous êtes stupide et vous êtes un gros enculé de balourd de crétin de youpin à tête de cul". "Il a plus grands yeux grand ventre". "Dé fois, oan suis pas et oan fé comme cil été pas la et dé fois j'medi qu'il doit avoir envi de baiser les bras et de tout laiser tombé mais il père sévère qu'en même". "Il frappe que les garçons, alors j'suis contente de ne pas être un garçon" . "Je pense qu'il est car éman méchan". "Monsieur Albert et gros et il a les cheveux blonds, il se moque toujours des garçons mais jamais des filles parce qu'il choigne trop".

Albert est un immature pressé, sympathique et triste. Tout est possible, il y a une belle liberté pessimiste dans ce livre vivifiant à la sexualité harassée, au coïtus intempestif . Il nous présente une grammaire du monde, incohérente, invisible et tenace.

À la fin, BS Johnson va désintégrer son roman en nous faisant le coup de "voilà comment j'ai écrit ce livre".

"Je ne me suis jamais tapé une fille qui s'appelle Jenny, elle, c'était Muriel qu'elle s'appelait, Muriel… Je suis heureux d'être enfin débarrassé du fantôme de Muriel". Albert Angelo est un foutoir organisé, contemporain, adolescent et violent. Pour BS Johnson, raconter des histoires, c'est raconter des mensonges, et lui veut dire la vérité sur son expérience, sur sa relation à la réalité, sur le fait d'être assis là à écrire, à essayer de dire quelque chose sur l'écriture, sur le fait qu'il n'y aucune réponse à la solitude et au manque d'amour. En ceci BS Johnson est poète car pour lui le poète est « un distributeur de vérité ».

P de B