Un livre de rupture tranchant avec les précédents. Un livre de deuil, le livre de l’absence
vient cette main
qui se tient
absente
ne vient pas
du vide insupportable à vivre
vivre sans
c’est possible
possiblement pas
La citation de Claude Ber mise en exergue
j’ai fait un effort de clarté comme
sachant qu’il allait falloir aller dans la plus grande nuit
qu’il allait falloir accompagner la traversée de la plus grande nuit
donne espoir d’une éclaircie. Or, point d’éclaircie dans ces textes aux vers ramassés, comme recroquevillés sur eux-mêmes, traces de larmes sur le papier (même si
pas pleurer
pas parler
se taire à oublier
assemblés en sept courtes parties, séparées les unes des autres par une page blanche, un besoin de pause, de silence, parmi ces mots pourtant rares, mais bâillonnés
il y a un bâillon
à l’intérieur
du sens
aux
phrases perdues
égarées
éparpillées
et
cassées bancales
très impossibles
Seul mais
très en dessous très bas
un bleu pourtant
en dehors
et venu par où ?
La couverture aurait dû porter en titre : Même pas, suivi de On n’en peut plus, tant l’écart formel mais non de fond est énorme entre les deux textes qui composent ce recueil.
Dans On n’en peut plus, sur 26 pages, la parole reprend sa place, toute sa place, commençant presque en douceur, par un texte de 14 vers courts de 6 à 10 syllabes, mais qui pose d’entrée la situation :
on a la nuit entre les deux
le bleu gommé partout introuvable
on cherche encore avec les yeux (…)
pour finir sur les dernières pages presque débordant du cadre, et en arriver à ce constat :
on n’en peut plus du tout on n’en peut vraiment plus.
Entre les deux, un flot ininterrompu, même si la mise en forme donne à lire un poème par page, disant le chagrin de vivre
où est né ce chagrin on ne sait pas d’où
il vient (…)
le faux-semblant de vivre
(…) on grelotte
sans cesse mais ça ne se voit pas on peut
encore sourire ne rien montrer on fait
semblant (…)
l’impossible lien à l’autre
on est séparé on est seul on a beau se cherche
se trouver se coller rapprochés emmêlés se prendre
l’un dans l’autre on est séparé toujours on sent
la différence la frontière chacun son territoire (…)
Texte sombre s’il en est, désespérant de l’espèce humaine, de l’humaine condition. Là encore, point de clarté. Mais texte lumineux dans son rythme, sa construction même, où le vers rompt la phrase, obligeant à poser, à recomposer le texte, le flot de paroles, donc à se rendre attentif. Un texte à dire à voix haute, dont un(e) comédien(ne) devrait un jour s’emparer, pour en restituer toute la force contenue.
Et l’on se dit que dans cette nuit
Oubliée
sur sa corde
séchant
dans ce noir
si fort partout
dans ce silence dans lequel
on ne cherche pas de réponse on n’en demande
plus
c’est l’écriture même qui est cet effort de clarté visé, espéré par la poète.
L’écriture qui seule permet de dire la douleur, le gouffre, puisque
vivre
est ce trou
Jacques Fournier