23 décembre 2010

Jacques Moulin Escorter la mer, éditions Empreintes (Moudon - Suisse), 2005, 114 pages, 17,40 € Archives d’îles, éditions L’arbre à paroles (Amay - B


Chaque moulin cherche sa route de vent d’eau et je mets la mienne en Caux.

Dans Escorter la mer, le poète, qui a quitté le Caux pour l’Alpe, évoque son pays, celui dit de Caux (C’est quoi qu’elle dit du Caux tout haut assise sur sa langue ?), par le paysage : falaise (J’ai la falaise au ventre. Sa peau déchire mes veines dans la nuit des silex), valleuse (Valleuse voulue d’en bas goulue d’éboulis raides), grève (je remonterai ta grève jusqu’à t’élire mignardement), usant du singulier pour bien montrer leur unicité ; mais aussi par les paroles, idiomes (douillon, poire du coq - au pays on dit co -, valleuse, taiseux), jusqu’à un glossaire, qui donne sens aux mots par l’exemple (Galet : prenez et lancez car ceci est la faille des mers) ou la définition décalée (Cresson : une réplique d’algue courte sous la fourchette), et citations et convocations (Malherbe, Montaigne, Flaubert, Maupassant, Fontenelle, Ponge,..) tout cela pour simplement parler des gens du pays, la grand-mère et sa salade défaite, la mère qui a de la craie dans l’œil, le père mort de la violence du monde, les bonnes et la passante.

Caux est largement dit, en longs textes de prose, comme en urgence, dans une partie introduite par un rondeau (La Manche et l’Andelle / Font pays de Caux), le poète rendant ce qu’il leur doit aux poètes qui dirent avant lui ce pays.

Se tournant alors vers la mer (c’est à main nue qu’on entre dans la mer), le poète clôt le livre sur un cycle titré Phares, qui fait le lien avec les pays des phares que sont les îles (il faut / Croire / Aux îles / Sans contours), matière première d’Archives d’îles : On ne peut jouer à cache-phare.

La riche langue de Jacques Moulin n’a de cesse de rebondir de son en son (Il faut que je cause de tout mon soûl de mon Caux que je case mon Caux tout mon Caux à toutes mes sauces d’eau (…) ; la zone portuaire mortuaire ; le phare a un pied mont qui le montre plus haut, etc.). Les phrases roulent leurs galets de mots comme le font les vagues venant mourir sur la grève, mouvement d’autant plus perpétuel quand disparaît la ponctuation dans toutes les proses de la partie Caux, la majuscule seule marquant l’arrivée de la vague suivante.

Archives d’îles s’apparente plus à un journal de voyage. La langue est posée, apaisée presque, moins ludique que dans Escorter la mer, mais tout aussi riche. Le poème est vers court ou prose, en alternance sauvage, comme alternent sur les îles les paysages, champs de choux-fleurs, landes, grèves, roches, hameaux, îlots,…

Dans Archives d’îles, le poète n’est plus en sa Normandie natale, mais chez sa sœur la Bretagne et en quatre de ses îles : Sein plancher bas. Radeau. Campagne rase. Lacune ; Batz, champ de terre contre brassée de mer ; Bréhat, une île offrant aux oiseaux une cage ouverte, et Ouessant (Nous ne voyons pas le sang battre en nos corps, mais nous le sentons, fouettés que nous sommes, plein ouest sous des ciels de gloire).Le poète ne peut se contenter de dire les paysages, terre et mer, nous le suivons, je ou nous, pas à pas, jour après jour (Ouessant est un journal de six jours), découvrant l’île en ses diverses composantes pour dire sa place d’homme au cœur du monde, d’un monde à soi seul (Comme le phare, prendre acte des quatre points cardinaux, ouvrir l’œil pour enfermer l’île).

Deux ouvrages complémentaires, à lire comme un tout dans l’œuvre d’un poète rare et attachant.

Jacques Fournier

demain nous irons voir la mer

7 décembre 2010

« Kiss the past hello », Larry Clark au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris/arc Exposition interdite aux moins de 18 ans


Je ne suis pas photographe, je suis sensible à la photographie. Il faut « dire bonjour au passé »…j’y fus donc. Pas tellement choqué, pas tellement transporté.( On ne m’a pas demandé ma carte d’identité à l’entrée, dommage, mais on la demandait aux jeunes ). C’était l’heure du déjeuner il n’y avait pas la queue dehors. Bon, ces photos m’ont semblé assez anodines en leur facture, les modèles du photographe en général tous beaux et sveltes. L’ensemble est plutôt triste ( la chair est triste hélas…). La thématique transgressive plutôt éculée sans grande originalité. L’ensemble de l’exposition cohérent et les sexes un peu mous. Les hommes très souvent présentés « en totalité » et les femmes fréquemment « en morceaux », pour changer. De très belles images de couples en amour, celles qu’on a vues dans les journaux étaient de loin les plus justes.

Bien sûr cette exposition n’est pas faite pour les moins de dix huit ans mais, à tout prendre, elle est plutôt moins provocante que beaucoup de films interdits aux moins de treize ans.

Il faudrait accorder les violons de notre morale à géométrie variable.

Peu d’images m’ont choqué, le sexe est-il encore choquant ?

Pourtant, j’ai été saisi par une photo qui faisait partie d’un collage /assemblage représentant une femme, enfin un orifice féminin, dont, de loin, on ne savait pas distinguer s’il était barbouillé de sang ou de merde.

L’origine du monde couverte d’excréments. On est pris d’effroi, de questionnement sans doute aussi, car la merde fait encore peur.

« Là où ça sent la merde, ça sent l’être » disait Antonin Artaud.

Pour cette photo et cette photo seule je n’ai pas regretté d’avoir franchi le seuil de ce temple de la « branchitude ».

Paul de Brancion